8-9 mai 1769 : Ponte-Novu

 8-9 mai 1769 : Ponte-Novu

La défaite des milices de Pasquale Paoli face aux armées françaises supérieures en nombre, marque la fin de l’indépendance sous Pasquale Paoli. La Corse vendue par Gênes à la France est annexée par les armes

Ponte-Novu

Quelques rappels : Vers l’Indépendance 

A) Les émeutes de 1729  

Depuis le XIIIème siècle, la Corse est sous domination de Gènes, confrontée à de multiples révoltes. «La guerre d’Indépendance» éclate (1729). Mouvement populaire incontrôlé contre Gênes au départ, il va entraîner la «Révolution corse» (période de 40 ans). Avec l’apparition des nationalismes en Europe et la philosophie des Lumières, la Corse connaît des changements fondamentaux. Malgré la décision de Gênes d’arrêter la levée des impôts (récoltes mauvaises) le Gouverneur les prélève. Des révoltes spontanées éclatent (nov. 1729) dans le Boziu, suite à «l’incident de Bustanicu» contre un percepteur. Elles se fixent sur le refus de l’impôt, mais les causes profondes sont multiples : pression fiscale, taille et gabelle excessives dans le contexte économique de crise, et abus des percepteurs génois. Sur fond de disette, l’insécurité (bandits isolés ou bandes) suscite la demande de rétablissement du port d’armes, souci traditionnel en Corse d’assurer soi-même sa sécurité et de faire sa propre justice. Gênes interprète cette revendication comme un refus de l’impôt (deux seini). La rébellion s’étend (Castagniccia, Casinca, puis Niolu). San-Firenze et Algajola sont attaquées, Bastia est mise à sac (févr. 1730). A la «Consulte de Saint-Pancrace» (Assemblée) la Corse élit ses généraux (déc. 1830) : Luigi Giafferi, Andrea Ceccaldi et l’abbé Raffaëlli. Gênes en appelle alors aux troupes de l’Empereur Charles VI. Son intervention (1731) est  repoussée, mais après quelques semaines, d’importants renforts viennent à bout des rebelles. Gênes accorde aux Corses des concessions garanties par l’Empereur, mais jugées insuffisantes dans l’île (juin 1733). La rébellion reprend après quelques mois, sous Commandement de Hyacinthe Paoli, père de Pasquale.

B) Théodore de Neuhoff

Aristocrate allemand, (né en 1694 et mort le 11 déc. 1756 à Londres) après avoir traversé l’Europe et occupé diverses fonctions, il rencontre des exilés corses à Livourne : Luiggi Giafferi, Ceccaldi, Aitelli, Orticoni et Costa. Ils s’allient à lui pour gagner leur cause auprès des cours d’Europe où il se donne beaucoup de mal pour la défendre. A bord d’un bâtiment anglais armé de quelques fusils et de canons, et de l’argent, il débarque à Aléria. Les représentants locaux lui rendent hommage (mars 1736). Choisi par les partisans corses, il est élu roi de Corse (15 avril 1736) à Alesani. Il installe la capitale de l’île à Cervione (Castagniccia) fait approuver une constitution monarchique, promulguant des lois le rendant populaire. Même s’il n’est pas pris au sérieux par ses contemporains (règne de sept mois) il proclame pour la 1ère fois l’Indépendance de la Corse par sa monarchie. Il prévoit un impôt modeste, une université, un ordre de noblesse et l’accession des Corses à tous les emplois publics. Acclamé et placé «sous la protection de la Trinité et de l’Immaculée Vierge Marie», il prend son rôle au sérieux. Même s’il n’obtient pas le soutien total des grands chefs corses, il acquiert une certaine popularité auprès du peuple. Homme d’idées et d’ambitions plus que de terrain, il se borne à de nombreuses actions spectaculaires. Gênes, irritée d’être mise en échec par cet étranger, menant une propagande calomnieuse nuisant à son image auprès des souverains d’Europe, il ne parvient pas à s’imposer aux monarchies (française, anglaise et espagnole) auxquelles il était lié. Face à l’indifférence, hostile ou amusée, des grandes nations et à leur manque de confiance, il tient tête à Gênes, mais sans succès décisifs. Découragé, il quitte l’île après avoir nommé Hyacinthe Paoli et Luiggi Giafferi, Commandants en chef du ‘Delà’, s’embarquant à Solinzara (11 nov. 1736) déguisé en prêtre, avec son fidèle Costa, pour se réfugier à Livourne. Il tentera deux retours. Débarquant avec une petite escadre, il est bien accueilli par les paysans, mais aucun de ses anciens collaborateurs n’est au rendez-vous (1738). Résigné, il repart à Naples, où il est interné. Tentant un nouveau retour, aidé par les Anglais, il essuie un nouvel échec, définitif (1743).

C) Les interventions françaises

Par la Convention de Versailles, la France s’engage à intervenir en Corse si Gênes le demande (1737). Le Génois Gian Francesco II Brignole Sale, ancien chef de la Junte chargé d’examiner les demandes des insurgés et Ambassadeur de Gênes à Versailles, obtient de la France l’envoi d’un corps expéditionnaire (3000 hommes) sous les ordres du Comte de Boissieux. Lors de la 1ère intervention (1738-1741) les troupes françaises, alliées à Gênes, sont vaincues à Borgu (13 déc. 1738). Le Marquis de Maillebois, envoyé avec des renforts, obtient la reddition des insurgés (juil. 1740) provoquant l’exil des chefs de la rébellion, dont Luiggi Giafferi, Hyacinthe Paoli et son fils, Pasquale. Une coalition anglo-austro-sarde, opposée aux Français, aux Espagnols et aux Génois (guerre de succession d’Autriche) s’empare de Bastia (1745) aidée par Domenicu Rivarola (chef d’une faction corse). La 2ème intervention française (1746) permet à Gênes de reprendre la ville, profitant de la mésentente entre les chefs Domenicu Rivarola, Ghjuvan Petru Gaffory[1]et Mario Matra. La même coalition, appuyée par les Corses, attaque Bastia (1748) mais doit se retirer avec la paix d’Aix-la-Chapelle.

De l’Indépendance à l’annexion

A) L’œuvre de Pasquale Paoli

L’île est administrée, par le Marquis de Cursay pour le compte de Gênes (1748). Les patriotes corses rejettent les règlements proposés, adoptant un nouveau système de gouvernement sous Commandement de Ghjuvan Petru Gaffory (oct. 1752). Le Marquis de Cursay est renvoyé (déc. 1752). Un an plus tard, Ghjuvan Petru Gaffory est assassiné. Une Régence présidée par Clémente Paoli est établie. Il rappelle Pasquale Paoli, homme des lumières italiennes (Luminati) élu général en chef de la Nation corse indépendante (Consulte du couvent St-Antone-Casabianca d’Ampugnani) le 14 juillet 1755. La Corse s’érige en Etat démocratique en rupture avec les monarchies absolues en Europe. Cette mise en place d’une démocratie moderne se concrétise par la promulgation d’une Constitution écrite originale, adoptée par la Consulte de Corti (16-18 nov. 1755). Considérée comme la 1ère Constitution démocratique des Temps Modernes, appliquée bien avant la Révolution française, elle fait l’admiration de Jean-Jacques Rousseau (Contrat social) Voltaire, James Boswell et de nombre de penseurs des Lumières : Séparation des pouvoirs, principe électif à tous les niveaux, vote des femmes (chefs de foyer) démocratie directe, création d’une capitale, d’une armée populaire, d’une marine, d’une imprimerie nationale, d’une monnaie, d’un journal national (Ragguagli dell’isola di Corsica) d’une université à Corté dans l’esprit des lumières, développement de l’agriculture, du commerce et de l’artisanat. L’île possède tous les attributs de la Souveraineté (officialisation du drapeau à tête de maure) d’ailleurs reconnue par les puissances d’alors[2]. Les Matra, appuyés par Gênes, et Colonna de Bozzi, allié de la France, fomentent une révolte (1757) écrasée par Pasquale Paoli, élu général de la Nation.

B) La conquête française

En 1756, les Français signent le Traité de Compiègne accordant à Gênes des subsides et des troupes pour occuper Ajaccio, Calvi et San-Firenze jusqu’en mars 1759. Il s’agit alors seulement d’une délégation, la France devant administrer l’île durant 10 ans et la pacifier. Le second Traité de Compiègne est signé (6 août 1764). Les troupes françaises s’engagent alors à tenir garnison dans les trois villes déjà occupées, ainsi qu’à Bastia et à Algajola pour quatre ans. Au bout de 10 ans, Gênes, n’arrivant plus à reconquérir l’île, ne peut rembourser ses frais. La France lui rachète ses droits, avec la souveraineté sur l’île, devenant sa propriété, même si Pascal Paoli continue à correspondre avec le Duc de Choiseul dans l’espoir d’assurer l’Indépendance. Après de sourdes et multiples machinations, Louis XV met un terme à l’expérience paoliste par une annexion brutale et une conquête militaire… Les troupes du Marquis de Chauvelin occupent le Cap corse. Après plusieurs batailles, certaines remportées par les milices populaires paolistes (Borgu, octobre 1768)  les troupes françaises renforcées au printemps par le Comte de Vaux (35000 soldats) triomphent le 9 mai à Ponte Novu.

Le déroulement de la campagne d’annexion militaire

La bataille de Ponte-Novu, (8 au 9 mai  1769), est le point final des affrontements entre les troupes de Pasquale Paoli – composées de Corses et de mercenaires allemands (prussiens alors) – et les armées du roi de France, Louis XV aidées de soldats corses du parti français. Ouvrant aux grenadiers français la route de Corti, capitale de la nation corse, cette bataille marque la fin de la seconde et dernière phase de la “guerre de Corse”.

Après la défaite subie à Borgu, Louis XV changea sa tactique : il tenta d’abord, à plusieurs occasions et sans succès, de faire assassiner Pasquale Paoli et essaya de corrompre certains de ses lieutenants, puis, sous le commandement du Comte de Vaux, il envoya un corps expéditionnaire de 22 000 hommes avec une artillerie nombreuse.

Du côté Corse, l’armée nationale pouvait compter sur 20 000 hommes, dont des mercenaires prussiens et suisses mais avec très peu de canons.

Afin d’en finir avec le gouvernement rebelle corse de Pasquale Paoli, le commandement français décide de se porter sur Corte en passant par le passage du Golu à Ponte Novu.

Le comte de Vaux décide d’engager dans cette action 15 000 hommes. Du 1er mai au 4 mai il met en place son dispositif. Alors qu’il commande la force principale, au centre, son aile droite est commandée par le colonel d’Arcambal et son aile gauche est sous le commandement de Marbeuf.

Le 5 mai, les opérations débutent par la prise de Muratu et San Nicolau brisant ainsi les défenses corses du Nebbiu. Pendant ce temps, Marbeuf prend Borgu et franchit dans le mouvement le Golu.

Le 6 mai, les troupes françaises prennent la Custera.

Le 7 mai, après avoir pris Santo Pietru et Lentu, le Comte de Vaux y installe son quartier général.
Pendant ce temps, 2 000 hommes des troupes Corses, dont des mercenaires prussiens et suisses, sous le commandement d’Antoniu Gentili, se positionnent à Ponte Novu pour bloquer la progression des troupes françaises3.

Le 8 mai, voulant reprendre Lentu aux Français, Pasquale Paoli décide d’attaquer le village de 3 côtés. Les troupes commandées par Pietro Colle mènent l’attaque principale vers Tenda et Lentu dans la vallée du Golu où sont stationnées les troupes du comte de Vaux. Après un premier assaut acharné, les troupes françaises plient, les troupes corses progressent. Les renforts français venus de Lentu et Canavaggia repoussent les troupes corses. Une contre attaque française oblige les Corses à se retirer, en ordre, sur la rive droite du pont, côté Rostino, où 1 200 soldats français avaient déjà pris place sur les hauteurs.
Assaillit de tous côté, les Corses tentent alors de repasser sur l’autre rive, mais dans le désordre mêlée à la confusion dans le commandement, les troupes en retraites de Pietro Colle se font tirer dessus par les mercenaires prussiens chargés de défendre le pont.
Assaillit d’un côté par les Français et empêchées de l’autre de passer le pont, les troupes corses sont laminées.

Voltaire, dans Le Précis du Siècle de Louis XV (1ère édition en 1768), écrit, admiratif, à l’occasion de ce combat :

« L’arme principale des Corses était leur courage. Ce courage fut si grand que dans un de ces combats, vers une rivière nommée Golu, ils se firent un rempart de leurs morts pour avoir le temps de recharger derrière eux avant de faire une retraite nécessaire ; leurs blessés se mêlèrent parmi les morts pour affermir le rempart. On trouve partout de la valeur, mais on ne voit de telles actions que chez les peuples libres. »

Pourtant les combats ne cessèrent pas après cette bataille. D’autres combats acharnés eurent lieu comme, du 1er au 5 juin, dans la région de Vicu entre les troupes de Clemente Paoli et celles du Comte de Narbonne, commandant militaire d’Aiacciu. Dans la même période, les Corses s’opposèrent vainement, à l’avance des troupes Françaises comme dans le Fiumorbu ou à Vivariu.

Les Français cherchaient à capturer Pasquale Paoli, qui réussi à s’échapper, avec 300 fidèles, en s’embarquant à Porti-Vecchju le 13 juin 1769 pour Livourne., prenant le chemin de l’exil.

En  Corse, la défaite de Ponte-Novu (9 mai 1769) marque la fin de l’indépendance[3], l’annexion par les armes et le début de la Corse française (pacification). Dès lors coupée de son aire naturelle italique et méditerranéenne, l’île est conduite à oublier ses traditions socioculturelles, son héritage politique des «Luminati» italiens, porté par l’œuvre de Pascal Paoli, son vocabulaire politique, elle qui est déjà une «nazione», de sa conception marquée par l’Italie pré-unitaire (relations avec Garibaldi et les Carbonari) puis par le Risorgimento auquel elle a participé. Extraite de cet univers qui l’a modelée, elle apparaîtra depuis aux yeux des gouvernants français et de la société française (politique d’intégration française) comme un territoire incompréhensible, rivé à paraître irrationnel et obscur.

[1] Ghjuvan Petru Gaffory, médecin et patriote corse né à Corti en 1704. Secrétaire du roi Théodore de Neuhoff, nommé protecteur de la Nation corse en 1745 par une Cunsulta réunie au couvent d’Orezza pour lutter contre Gênes, les chefs historiques de la rébellion étant tous partis en exil. En 1746, s’emparant de la citadelle de Corte tenue par les Génois, il se rend alors maître du centre de la Corse. En 1751, il est nommé Général de la Nation. Le 3 oct. 1753, il meurt dans une embuscade tendue par 6 tireurs, dont son propre frère, quartier de San Pancrace à Corti. Selon certains, cet assassinat a été soit commandité par les Génois, soit il s’agit d’une banale querelle de délimitation de propriétés avec la famille Romei.

[2]En 1758, il fonde l’Île-Rousse. La création d’une marine lui permet de soumettre le Cap Corse en 1761. En 1762, il fait adopter le drapeau à la tête de Maure et crée une monnaie. En 1765, Corti devient capitale de la Corse, une université y est créée. En 1767, il s’empare de l’île de Capraia, mais échoue dans sa tentative de prendre d’assaut les villes côtières génoises

[3] Les étudiants de Corti, mobilisés au nom du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, y périssent.

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