Discussion au coin du feu ou le complexe du colonisé à l’œuvre

Discussion au coin du feu ou le complexe du colonisé à l’œuvre

Cette semaine, une radio de service public et la municipalité d’Ajaccio (services culturels) ont organisé  deux débats sur la violence en Corse.

Le 1er  débat était animé par deux intervenants extérieurs : le politologue Xavier Crettiez, qui a écrit sur la violence politique dans l’île, et le journaliste du journal le Monde, Jacques  Follerou, auteur de la saga des Parrains corses. Respectant un certain équilibre, étaient aussi invités deux locaux : Sampiero Sanguinetti qui a écrit sur la situation actuelle de violence et la criminalité dans l’île et l’historien Antoine Graziani qui devait intervenir sur sur la violence que l’île avait connu au cours des  siècles. N’ayant pas  été convié à ce débat et n’ayant  pu y assister, je ne ferai aucun commentaire sur les débats. On peut toutefois se poser la question de savoir si quelqu’un avait pensé à demander à Mr Jacques Follerou s’il ne se serait pas attiré certaines foudres s’il avait commis un ouvrage sur les parrains arabes, parrains juifs (ou toute autre communauté) ? Mais il est vrai que le titre fait vendre, par curiosité malsaine, au vu du nombre de noms cités, ou par anti-corsisme de bon aloi, tant le racisme anti-corse est en vogue dans l’Hexagone.

Si je n’étais pas présent au premier débat, j’ai, par contre, écouté avec attention celui sur la radio de service public. Jacques Follerou et Xavier Crettiez en étaient les invités. Au fil des échanges, je me suis demandé si le rôle d’un journaliste ne consistait pas finalement qu’à tendre le micro pour que chacun des deux “débatteurs” puisse s’exprimer “librement” ou si son rôle d’animateur n’était pas de chercher la contradiction ou du moins de faire part de certaines interrogations concernant leurs écrits ou leurs analyses, surtout sur un sujet aussi sensible, ces écrits ou les explications des deux “débatteurs” ne pouvant être tenus pour paroles d’évangile ?

J’ai pu ainsi écouter deux “invités-spécialistes ou spécialisés” répondre tranquillement aux « questions » sans aucun risque de contradiction, assénant « leurs vérités »…

Je n’ai pu alors qu’en déduire que j’avais là, encore une fois, l’illustration du complexe du colonisé. Les voix extérieures nous expliquaient les “réalités des choses en Corse”, réalités que les Corses ne pouvaient pas comprendre ou expliquer tous seuls, inéluctablement conduits qu’à n’être que juge et partie, donc non objectifs, incapables qu’ils étaient de s’extirper de leur condition “partisane” de Corses.

Mais l’objectivité totale existe-t-elle et au cas où, pourquoi seuls les intervenants extérieurs pourraient-ils s’en prévaloir ?

Pour ma part, ayant écrit un ouvrage sur la dérive mafieuse dans l’île [1], je n’ai pour autant jamais prétendu à l’objectivité totale, car un chercheur quel qu’il soit est toujours quelque part subjectif, influencé voire instrumentalisé pour certains, mais en tant que Corse, j’exprime ma vérité et je ne la jugerai jamais moins intéressante que celle véhiculée par des gens qui ne sont guère imprégnés de nos réalités culturelles, auto-proclamés spécialistes de la violence en Corse. Ils sont quoiqu’ils en disent incapables quelque part de comprendre réellement certaines choses surtout s’agissant d’une société de proximité comme la nôtre où tout le monde se connait et où chaque fois qu’un  évènement important ou dramatique se produit, à plus forte raison chaque fois qu’un homme est assassiné, c’est toute une famille, des amis, des voisins et des connaissances qui sont directement concernés par ces drames et qui en subissent toutes les conséquences.

Je ne peux donc que constater que mes écrits sur le sujet n’ont donné lieu à aucun commentaire dans le journal Corse-matin, que la Corse hebdo a fait traiter le sujet par un journaliste stagiaire, que la radio publique n’a pas trop traité du contenu de mon   ouvrage et que lorsque j’ai été invité à le présenter à la télévision publique régionale, j’ai dû, tel un accusé déjà jugé coupable, affronter un journaliste procureur qui n’a guère traité lui aussi de son contenu, mais qui, oubliant que je dénonçais de graves dérives,  n’avait à l’évidence pour mission que de critiquer certaines de mes prises de positions, notamment ma dénonciation de la politique de l’État, d’autres auteurs non corses ayant plutôt tendance à le blanchir en oubliant ses jeux troubles et les manipulations de certains hauts policiers ou gendarmes, dans la situation dramatique de la Corse, particulièrement ces dernières années, responsabilités qui ne sauraient être effacées par quelques effets d’annonces ..

Poggioli      12 novembre 2013

[1] Corse : Entre Néo-clanisme et Mafia ?,  éditions Fiara, Ajaccio, juin 2013, 106 p, 14 euros

 

Laisser un commentaire